Chapitre Premier

La littérature scientifique concernant les problèmes du nœud

Je me propose de montrer dans les pages qui suivent qu’il existe une technique topologique qui permet de lire les nœuds : si on applique cette technique, tout nœud apparaît comme un processus topologique qui a une régularité et qu’on peut insérer parfaitement dans la suite des activités logiques qui ont trait au langage ordinaire. Je veux, de plus, essayer d’expliquer les processus qui donnent au nœud son aspect étrange, méconnaissable, et d’en tirer une conclusion sur la nature des tensions topologiques dont la fusion ou le heurt produisent le nœud. Je limiterai là mon exposé : il aura atteint le point où le problème du nœud aboutit à des problèmes plus vastes pour la solution desquels il faut mettre en œuvre d’autres matériaux.

1. Les premières approches

Je commence par un exposé historique, parce que j’aurai peu d’occasions d’y revenir dans le corps de l’ouvrage. Je profite de cette occasion pour commenter les différents styles d’investigations, et indiquer les différents registres de difficultés dans l’approche du nœud.

a1 - J. B. Listing

La conception scientifique du nœud s’est, en effet, peu développée avant une période très récente, puisqu’il suffit de remonter à l’année 1847 pour trouver la première étude publiée consacrée à ce sujet. Il s’agit de la thèse d’habilitation de J.B. Listing [25] qu’il soutient à Göttingen.

Nous pouvons noter qu’il fut aussi le premier, dans le discours de la science, à employer le terme de topologie. La première occurrence de ce terme se trouve dans sa thèse qui couvre une série de problèmes structuraux d’orientation du sujet dans l’espace.

Allant de la symétrie miroir d’un dé destiné au jeu, puis passant par la distinction des spirales gauche et droite, rencontrées en botanique, il aboutit aux présentations de nœuds mises à plat qu’il introduit par les spirales cylindriques, les nœuds toriques d’aujourd'hui. Nous retiendrons qu’il distingue déjà deux sortes de zones déterminées par la mise à plat d’un nœud. Il les note grâce à deux lettres différentes, l et d, et cherche à former déjà des polynômes avec ces variables.

a2 - Les précurseurs

Nous pouvons mettre à part Descartes qui évoque comme digne d’intérêt l’art des dentellières dans ses Règles pour la direction de l’esprit [9]. Puis aussi, surmontant un pas de plus, Gauss qui dessine dès 1794 « une collection de nœuds ». Il laisse également deux études parmi ses manuscrits, en plus de son texte de 1833 dans ses cahiers consacrés au circuit électrodynamique [13]. Il projette un ouvrage sur la question dont témoigne une correspondance de Mœbius à Gauss de 1847 [34].

En fait, il faut attendre 1877 avec P.G. Tait [37] et 1885 avec C.N. Little [26. a, b et c] pour trouver le véritable départ d’une présentation développée des nœuds.

Étant chimistes, ils ont été tous deux impliqués dans cette investigation par lord Kelvin et produiront les premières tables de nœuds. Signalons l’apport de T.P. Kirkman [20] qui a accompagné de ses remarques leur élaboration.

Dès les travaux de Tait, la notion de signe de croisement est définie dans une présentation de nœud ou de chaîne orientée.

Pour les translations et les rotations planaires, il n’y a qu’une seule sorte de croisement dans une présentation de nœud ou de chaîne non-orientée :

Fig. 1

Lorsque la présentation est orientée, il y a alors deux types de croisements différents :

Fig. 2

Ils sont indexés par deux signes de croisements notés respectivement +1 et –1.

Nous laissons au lecteur le soin de vérifier pour les transformations planaires l’identité de tout croisement non orienté et la non-identité de ces deux types de croisements orientés.

On remarquera que nous traitons ici des présentations de nœuds et chaînes mises à plat sur le plan de la table par exemple. Ces projections doivent répondre à la simple condition de ne pas présenter de points multiples autres que ceux où se croisent au plus deux éléments de ficelle, et jamais plus. Les présentations mises à plat déterminent des arcs de corde, des croisements où sont notés les passages au-dessus et au-dessous, et des zones délimitées par les portions d’arcs et les croisements1.

Fig. 3

a3 - Deux autres tables de nœuds

Pour ceux qui cherchent une base matérielle pour leurs travaux, hors les constructions de cordes qu’ils peuvent avoir réalisées, nous indiquons ici où peut se trouver une multiplicité de nœuds et de chaînes qui s’offre comme lieu de l’exploration. Nous proposerons, par la suite, une formulation renouvelée de ce domaine. Les nœuds et les chaînes se présentent, dans la littérature mathématique, sous l’aspect d’une énumération en table.

Depuis les tables de nœuds de P.G. Tait et de C.N. Little, d’autres tables ont été établies et successivement augmentées.

Nous connaissons la table de K. Reidemeister dans sa Knötentheorie publiée en 1932 [32] et celle plus récente de D. Rolfsen en 1976 [33] qui propose une version dessinée et augmentée de la compilation de J.H. Conway de 1970 [8] et dont nous aurons à reparler dans l’histoire des polynômes de nœuds.

Il se trouve, dans la littérature disponible, d’autres de ces tables, par exemple dans L.H. Kauffman [18. b].

2. Serrage du nœud au tournant du siècle

a1 - Enlacements et nœud

Si nous reprenons la suite chronologique, il nous faut revenir après les chimistes anglais à H. Brunn en 1892 [7. b] pour la fin du XIXe siècle. Nous noterons, dans son étude de l’enchaînement, qu’il s’émerveille de la présence des anneaux de Borromée, qui tiennent et ne présentent aucun enlacement, aucune sous-chaîne consistante. Cette étude est une excellente référence pour le débutant qui veut poursuivre avec Lacan la tentative d’isoler le nœud au travers des chaînes et des nœuds.

Cette étude est encore menée dans le style formel des essais précédents, avant que ne vint Poincaré qui transforma en topologie algébrique l’ancienne Analysis-situs, dénommée ainsi par Leibniz [31]. L’attention se porte alors sur l’espace autour du nœud, au moyen de techniques algébriques plus sophistiquées avec l’usage des groupes d’homotopies.

Nous conserverons toutefois dans nos travaux une attention soutenue pour la première époque de la topologie, car il vaut mieux se garder d’un recours non contrôlé à la structure de groupe, dont l’importance est bien connue depuis F. Klein, et sachant que même ces travaux, aussi archaïques soient-ils, peuvent relever d’une structure algébrique formulée dans le langage des catégories2.

Passons maintenant à des travaux dont la facture est plus proche des publications mathématiques d’aujourd’hui.

a2 - Premiers théorèmes

M. Dehn en 1910 [10] et J.W. Alexander en 1927 [3. a] apportent au début du siècle les premiers résultats proprement mathématiques, puisqu’ils les présentent comme des théorèmes qui nécessitent de véritables démonstrations.

Nous devons à M. Dehn le lemme qui porte son nom et qui a valu une curieuse surprise aux mathématiciens. Nous relaterons tout de suite cette anecdote. Mais signalons qu’entre autres résultats, il formule la méthode que nous avons trouvée par un autre chemin au cours de nos conversations avec P. Soury, dans le calcul du groupe fondamental du nœud3. Nous y reviendrons vers la fin de ce chapitre.

Nous devons à J.W. Alexander [3. a] la construction du premier polynôme de nœud, dont la recherche comme invariant de nœud est bien caractéristique de ce moment de la topologie grâce à Poincaré.

Nous commenterons plus loin ce recours à la structure de groupe algébrique, et l’usage des polynômes dans leurs développements actuels.

a3 - L’aventure du lemme de Dehn

Le lemme de Dehn est caractéristique de la difficulté de notre discipline, puisque celui-ci avait cru démontrer en 1910 le lemme qui formule le critère pour qu’un nœud soit trivial. Or, H. Kneser [21] montre en 1929 que la démonstration proposée par Dehn est insuffisante et il faut attendre 1955 pour que C.D. Papakyriakopoulos [30] en donne enfin une démonstration recevable.

Il ne s’agirait que d’une anecdote s’il n’en restait la réputation pour la topologie et plus spécialement pour la théorie des nœuds d’être une discipline à risques, réputation qui semble s’estomper bien heureusement aujourd’hui.

3. Une théorie des nœuds

Nous pouvons dire dès maintenant ce qu’est une théorie des nœuds, au sens le plus actuel du terme. Nous suivrons pour cela L.H. Kauffman [18. b] qui adopte lui-même l’esprit du parcours rapide au travers de la théorie des nœuds accompli par R.H. Fox [12].

Une théorie des nœuds est un problème de situation ou encore de placement. Étant donné un espace et un objet (rond), le problème est de savoir comment peut-on disposer cet objet dans cet espace, c’est-à-dire comment peut-on l’y placer ou comment peut-il y être situer?

Fig. 4

Dans la théorie des nœuds, l’objet est un simple cercle placé dans l’espace euclidien de dimension trois. La manière dont est situé l’objet dans l’espace correspond usuellement à la notion de plongement, et nous devons donner plus loin une définition de cette notion prise pour l’instant par le lecteur de façon intuitive.

La théorie classique des nœuds tente une classification de ces différents plongements de cercle. Il faut donc disposer d’un critère d’identité et de différence afin de pouvoir dire ce qui est le même et ce qui n’est pas pareil. Cette notion correspond à une relation d’équivalence.

Il y a différentes approches d’une telle théorie.

Nous adopterons une théorie formelle des nœuds au sens de L.H. Kauffman [18. a], où il s’agit de mettre en œuvre un calcul combinatoire de traits (invariants) caractérisant les présentations des nœuds ainsi identifiés par une relation d’équivalence.

Pour nous, il s’agira d’une équivalence par des mouvements élémentaires qui changent l’aspect sous lequel un même nœud ou une même chaîne se présente à la lecture. Ces mouvements élémentaires sont connus depuis K. Reidemeister [32]. Une composition de ces mouvements constitue un changement de présentation, qui laisse le nœud ou la chaîne identique.

La théorie commence lorsque nous disposons de la bonne définition des mouvements.

Une autre approche consiste à étudier l’espace autour du nœud (la variété du nœud) au moyen des techniques de la topologie algébrique, voire de la géométrie différentielle.

Avant d’entreprendre notre étude selon le style formel que nous adoptons, expliquons combien peut être tentante cette autre façon de s’y prendre, en commentant les trois temps nécessités par la définition que nous venons de donner d’une théorie des nœuds.

4. Commentaire et définition des éléments nécessaires à une théorie des nœuds

a1 - Situation ou placement

Prenons un exemple en référence à notre ouvrage précédent, relatif aux surfaces topologiques.

Le plan projectif4 est un objet de dimension deux, il ne peut pas être placé en tant que tel dans l’espace de dimension trois5. Il y a là une obstruction et cette question est une bonne introduction au problème du nœud. Elle éclaire le passage de la classification, réalisée intrinsèquement, des variétés de dimension deux, les surfaces, à la classification des nœuds, variétés de dimension un situées en dimension trois.

En effet, le lecteur peut se demander pourquoi la topologie ne poursuit pas la classification des variétés intrinsèques de dimension trois, quatre…

Il commence à apparaître au lecteur qu’il y a plusieurs façons concurrentes de placer un objet dans l’espace et ce problème va occuper de plus en plus le devant de la scène au lieu de la simple énumération des différents objets intrinsèques de dimensions successives. L’objet principal de ce chapitre va être maintenant d’expliciter ce fait.

Mais un apprentissage plus intuitif de la pratique qui ne recoure pas aux mathématiques dans le champ d’existence du nœud peut faire l’économie des définitions que nous donnons maintenant. Le lecteur qui préfère cette pratique intuitive renouera avec notre texte (voir plus bas § 7. Mouvements) au moment où nous définirons la relation d’équivalence. Nous définirons cette équivalence dans l’espace des ronds grâce aux mouvements de Reidemeister6.

a2 - Plongement et immersion

Nous donnons dans ce paragraphe les expressions plus mathématisées qui formulent cette situation, pour un lecteur qui ne se contenterait pas d’une approche intuitive.

Il nous faut alors préciser l’ordre des difficultés des moyens mis en œuvre en topologie. Les études de topologie se situent de manière usuelle dans trois catégories différentes :

— les espaces topologiques (TOP),

— les espaces semi-linéaires par morceaux (PL),

— la géométrie différentielle (DIFF),

qui sont ici ordonnées en fonction de la plus ou moins grande finesse des techniques de découpage de l’espace.

Les définitions que nous donnons maintenant relèvent de la géométrie différentielle (DIFF), la catégorie la plus fine. Mais, l’étude des nœuds nécessite plus volontiers la catégorie (PL) des espaces semi-linéaires par morceaux.

Un plongement d’un objet O (variété différentielle) de dimension m dans un espace E (variété différentielle) de dimension n, avec n plus grand que m (n > m), est une application f : O ® E.

Fig. 5

Cette application f est injective et infiniment différentiable C, dont l’application tangente est partout injective.

Une immersion est un plongement non-injectif. Cette différence entre ces deux types de placement tient au fait que les fils peuvent ou non se traverser eux-mêmes.

a3 - Identité et différence

Donnons maintenant la définition des équivalences toujours dans le cadre de la géométrie différentielle.

La relation d’équivalence qui correspond au plongement est l’isotopie. Deux objets O et O’ sont isotopes par une isotopie différentielle.

La relation d’équivalence qui correspond aux immersions est l’homotopie régulière. Cette relation autorise de passer d’un objet O à un objet O’ en faisant se traverser les éléments de ficelle à la hauteur des croisements propres exclusivement.

Un croisement est dit propre lorsque les deux éléments qui se chevauchent sont du même rond de ficelle. Dans un nœud proprement dit, fait d’un seul rond, il n’y a que des croisements propres. Il n’y a donc qu’un nœud propre relatif à l’équivalence par homotopie. Pour cette relation, tous les nœuds sont équivalents au nœud trivial, le simple rond.

a4 - Considérations de méthode

Nous avons dit que nous nous placions ici en géométrie différentielle (diff) pour donner ces définitions. Mais notre propos n’est pas d’y entraîner le lecteur qui ne fait pas de mathématique. Au contraire, nous voulons lui donner les moyens d’éprouver le nœud en restant proche des réalisations obtenues avec de la corde ou en s’exerçant aux dessins, bien construits, de ces configurations. Nous lui proposons d’éprouver la topologie, non de faire des mathématiques, à condition de rester logicien.

Cette position est cohérente dans le champ freudien si nous retenons la leçon donnée par Lacan, dans son séminaire, sur le conte d’Edgar Poe, “La lettre volée” [2. É].

En effet, dans ce conte, la découpe de l’espace avec beaucoup de finesse ne permet pas de trouver la Lettre. Par contre, Dupin, à chausser des lunettes vertes et à s’impliquer de façon plus directe dans le territoire, en nous y engageant, trouve le seul moyen d’isoler la Lettre dans l’espace du cabinet du ministre.

Il y va d’une conception qui ne considère plus l’espace parte extra parte comme cela fut le cas de la géométrie chez les Grecs. Ainsi, G. Ganguilhem, dans un essai remarquable [50], trouve, les circonstances de l’Antiquité, pouvoir atténuer l’erreur d’Aristote; il ne connaissait pas d’autres mathématiques, et a effectivement déclaré, pour longtemps, l’impossibilité du recours à cette discipline dans l’étude des organismes. Mais ce grand professeur de philosophie des sciences trouve impardonnable de la part de Bergson d’avoir colporté le même jugement, alors qu’il avait été lui-même formé aux mathématiques en un temps où la topologie existait déjà.

Ce n’est certes pas, dans notre cas, en vue de l’étude de la vie organique, en biologie, mais en direction de l’étude du langage et de l’éthique politique, dans la psychanalyse, que nous proposons d’y recourir. Ainsi pourra-t-on trouver ironique et déplorable que le même jugement persiste dans cette discipline, où les relations organiques du discours, mises à jour par sa pratique, révèlent une telle structure.

De ce fait, notre méthode de lecture des nœuds, présentée à partir du chapitre suivant, relève d’une structure topologique simple mais effective, affinée par Lacan dans les chapitres précédents de son séminaire, dans les termes successifs de graphes, puis de surfaces, pour qui a le goût de l’épure.

On peut donc nous suivre dans notre frayage sans recourir à des techniques spécialement sophistiquées, à condition de s’en tenir aux catégories robustes que nous proposons et d’y exercer la logique élémentaire qui s’y découvre.

Il est bien sûr que nous ne méconnaissons pas les résultats obtenus dans la variété du nœud depuis le début du siècle, qui n’auraient sans doute pas été démontrés sans les techniques qui les ont produits. Nous tentons toujours de les présenter au lecteur par la topologie en extension, de manière simple et accessible, comme nous le proposons à l’occasion de l’esquisse de construction qui vient maintenant.

Cette construction montre comment le nœud peut s’effacer dans certaines conditions, et nous met en garde contre le fait qu’il ne faudrait pas que le mode d’investigation trivialise inopinément la structure7.

5. Précisons la fonction principale du nœud

a1 - La construction d’Antoine

Il nous faut signaler ici le mémoire de L. Antoine “Sur l’homéomorphie de deux figures et de leurs voisinages” [5] et [28], en 1921, pour montrer l’enjeu de la théorie des nœuds en mathématique et sa résonance logique qui explicite que nous recourrions à sa topologie dans le champ freudien.

L. Antoine étudie le cas de deux courbes C1 et C2 situées chacune dans l’espace E, ce que nous sténographions ainsi :

pour indiquer que ces deux courbes ne sont jamais que deux plongements différents d’un même objet, le cercle O. Et il examine dans quelle mesure l’homéomorphie f, c’est-à-dire l’équivalence topologique, qui existe toujours entre ces deux courbes, peut s’étendre à leur voisinage dans l’espace, soit une partie plus ou moins proche de l’espace où elles sont plongée; ceci se graphématise ainsi :

La notion d’extension plus ou moins proche est rendue par la position de j entre f et F.

L’existence de l’extension assure qu’il n’y a rien de plus singulier entre C1 et C2 qu’entre V1 et V2. L’impossibilité de l’extension signale au contraire qu’il y a quelque chose entre C1 et C2 qui ne passe pas au-delà d’un certain voisinage; nous dirons alors qu’il y a du nœud entre C1 et C2 dans l’espace E.

Il y a bien un homéomorphisme f entre C1 et C2, puisque ce sont deux plongements du même objet O. C’est dire qu’un cercle plongé de différentes façons reste, de manière intrinsèque, le même. Cette notion est elle-même cruciale dans notre problème.

Trois cas sont alors possibles :

— 1er cas : celui où l’homéomorphie des courbes s’étend à tout l’espace de f à F.

— 2e cas : celui où l’homéomorphie s’étend à un voisinage qui dépasse les courbes sans embrasser tout l’espace de f à j mais non à F.

— 3e cas : celui où l’homéomorphie des courbes ne peut être prolongée pour aucune région extérieure aux courbes, f ne s’étend ni à j ni à F.

Dire que f se prolonge en j ou en F, c’est dire inversement qu’il existe des homéomorphismes j ou F dont f est la restriction.

1 - Dans le cas de courbes planes, on est toujours dans le premier cas, c’est dire qu’il n’y a pas de nœud en dimension deux. La structure de la courbe détermine complètement la structure de l’espace qui la contient.

Nous dirons que dans cette situation le nœud est trivial. Il n’y a pas de nœud.

2 - Par contre, pour des courbes de l’espace euclidien à trois dimensions, les trois cas peuvent se présenter.

Dans ce cas, il va y avoir du nœud.

Ce nœud va pouvoir s’effacer.

Particulièrement lorsque nos courbes sont plongeables dans un voisinage torique, lui-même plongé dans l’espace euclidien à trois dimension, f peut s’étendre à ce voisinage torique lui-même, sans s’étendre à tout l’espace.

Fig. 6

L’homéomorphie f de C1 dans C2 s’étend à une homéomorphie j entre deux voisinages toriques comme nous allons le montrer, mais ne s’étend pas à tout l’espace, c’est-à-dire à F.

Du fait que l’homéomorphisme f ne s’étend pas à tout l’espace, soit F, il y a du nœud. Cela, nous ne le montrerons pas.

Mais l’extension de f à j, homéomorphisme du tore dont f est la restriction, montre que le nœud s’efface localement dans un espace de dimension plus réduit. Nous dirons qu’il se trivialise ou qu’il s’efface dans ce cas.

Monstration de l’homéomorphie j, extension au voisinage torique de l’homéomorphisme f

Montrons l’identité, pour la topologie, des deux situations où le cercle est différemment plongé à la surface du tore.

Fig. 7

Cette transformation vaut de manière intrinsèque à la surface du tore8.

Donnons un commentaire image par image de cet argument en faveur de l’équivalence topologique relative à l’espace.

t1 - Nous découpons le tore suivant le nœud de trèfle. Il n’y a de discontinuité que de manière extrinsèque.

Fig. 71

t2 - Nous réduisons l’objet continûment afin de monter qu’il s’agit bien d’un ruban noué et torsadé.

Fig. 72

t3 - Nous défaisons le nœud du ruban. Il n’y a de discontinuité qu’extrinsèque.

Fig. 73

t4 - Nous réduisons les demi-torsions par paires pour obtenir une ceinture sans torsion, ceci préserve toujours la continuité intrinsèque.

Fig. 74

t5 - Nous déformons la ceinture en cylindre :

Fig. 75

t6 - Nous ne faisons que courber le cylindre :

Fig. 76

t7 - Nous refermons le tore. Cette contre-discontinuité extrinsèque ne contredit toujours pas la continuité intrinsèque.

Fig. 77

Il importe de bien se saisir de l’équivalence du ruban noué et torsadé avec la ceinture qui donne la raison de l’homéomorphisme j.

Il y a bien sûr des critères différents et parfois plus fins qui peuvent nécessiter d’autres précisions dans ce jeu des équivalences topologiques, mais le registre que nous avons choisi ici, s’il reste nécessaire, suffit pour montrer en quoi consiste le nœud entre différentes positions extrinsèques et s’efface dans certaines situations intrinsèques.

3 - L. Antoine construit effectivement un arc de courbe sur un tore dont la correspondance avec un segment de droite ne s’étend à aucun voisinage. On sait donc qu’il existe des cas où l’obstruction est extrême, et le nœud consiste au maximum. Nous ne nous préoccupons pas de cette situation strictement mathématique. C’est dire que la construction d’Antoine, qui est beaucoup plus compliquée, perd de son intérêt pour notre propos, car dans cette construction le nœud ne s’efface pas.

a2 - Revenons sur la distinction entre intrinsèque et extrinsèque

Nous traitions déjà longuement de cette distinction dans notre ouvrage précédent9 en référence à A. Lautman [22], afin de présenter la structure du narcissisme entre l’espace dont nous sommes le sujet, intrinsèque, comme de notre propre corps, le tore de la monstration précédente, et l’espace euclidien de dimension trois dans lequel se trouvent plongées nos constructions dessinées, où se trouve le tore pris en objet, extrinsèque.

Le narcissisme, tel que Freud l’introduit [1. c], consiste pour un sujet à prendre son propre corps comme objet, soit passer d'une position intrinsèque à une position extrinsèque. Cette distinction prolonge les schémas optiques de Lacan qui sont une généralisation du stade du miroir, où un instrument aussi artificiel que le miroir pour le regard n’est plus nécessaire. Cette formulation, en effet, ouvre, entre autres, à notre position à l’égard de la voix dans la pulsion invoquante. Il s’agit dans cette généralisation de formuler la structure, qui est au principe du narcissisme, il s’agit de la structure du langage, grâce à différentes topologies.

Cette question a par ailleurs une occurrence très banale et située dans l’histoire; elle présente aujourd’hui encore un intérêt particulier. Si nous portons notre attention à l’espace dont nous croyons être le sujet, l’espace euclidien de dimension trois, il est facile de l’étendre à lui donner une taille astronomique. Il paraît alors nécessaire, à beaucoup de sujets contemporains, de le situer dans un autre espace d’où il puisse être pris en objet, et de se trouver par là impliqué dans une fuite en avant, de contenus en contenants, en une série d’emboîtements infinis. Or cette observation extrinsèque ne paraît plus nécessaire aux astrophysiciens depuis les débats relatifs aux géométries non-euclidiennes jusqu’aux travaux de H. Poincaré et ceux de H. Weyl. La question d’un chevalier qui irait planter son épée aux confins de l’univers10 ne se pose plus dans un espace sans bord, considéré d’un point de vue intrinsèque. La différence entre une analyse intrinsèque et une analyse extrinsèque ne s’impose pas nécessairement.

Par contre, remarquons dans les constructions étudiées par Antoine, que les deux courbes C1 et C2 étant homéomorphes, leurs invariants intrinsèques déterminent en vertu du théorème d’Alexander [3. b] des invariants extrinsèques identiques pour leur espace complémentaire respectif E – C1 et E – C2. Mais l’identité de ces invariants n’est pas suffisante pour que les espaces E – C1 ainsi que E – C2 soient homéomorphes. Ils ne sont pas déterminés de façon univoque par les courbes qui peuvent y être insérées et leurs différences extrinsèques sont irréductibles. Il y a ici une sorte de relation irréductible entre un langage objet et un métalangage qui disparaît dans l’objet.

Si l’on remarque que l’espace euclidien à trois dimensions E est identique à lui-même et que c’est l’introduction des courbes C1 et C2 homéomorphes, c’est-à-dire identiques, dans chacun des deux cas qui le rend profondément dissemblable, on se rend compte de tout ce que les invariants intrinsèques des courbes laissent échapper de la relation entre la courbe et l’espace, dans les cas non triviaux.

a3 - Mythe ou structure de la fonction paternelle

Les propriétés de situation, réductibles dans le cas de deux dimensions de notre exemple du tore, aux propriétés intrinsèques, cessent de l’être dans le cas de trois dimensions. Dans ce registre de réalité, la distinction d’une esthétique et d’une analytique subsiste11, et cette distinction donne lieu à une variation, dans le cas de notre monstration, car inversement nous pouvons dire que les caractéristiques extrinsèques s’effacent ou disparaissent dans l’analyse intrinsèque. C’est ce qu’il y a de nouveau ici.

Cette pulsation est au principe de notre propos, comme de la structure du langage, et établit la pertinence de notre recours à la topologie du nœud.

Il y a donc plus si la structure du langage, par opposition au code de la communication, se définit par la nécessité du métalangage, position extrinsèque, mais qui se révèle ne pas être une sortie hors du langage, comme l’explique R. Jakobson [51], soit une absence de métalangage, retour nécessaire à l’intrinsèque.

C’est le moment où, dans les schémas optiques de Lacan, le miroir bascule.

Cet effacement du nœud, son évanouissement par trivialisation dans l’intrinsèque, nécessite un sujet de la lecture dans cette topologie et l’introduction à cette pulsation constitue la fonction dite paternelle dans la culture. Elle introduit le sujet à l’assomption de la structure du signifiant par la médiation d’une métaphore qui en est la meilleure illustration comme l’emploi des pronoms personnels [45], de la deixis ou des performatifs [41] en sont les meilleurs témoignages dans la grammaire. Elle recouvre une condensation originaire irréductible.

Dans le mythe freudien, elle a son corrélat dans la mort du père, établissant le père symbolique, pour des raisons de structure plus que de rivalité imaginaire qui reste un effet et non une cause de cette fonction, la position extrinsèque se rétablissant immédiatement d’elle-même, l’effacement n’a eu lieu qu’un instant, avant la restitution du nœud dans l’institution du surmoi toujours aussi évanescent.

Nos lecteurs comprendont ainsi combien Freud n’a commis qu’une torsion fautive à en proposer une origine mythologique dont nous n’avons plus la nécessité, la réponse à la culpabilité inconsciente n’étant plus, avec Lacan, qu’une affaire d’assomption de sa responsabilité pour le sujet.

Comme quoi la déresponsabilisation du sujet qui caractérise la folie est névrotique, si nous définissons la névrose comme une maladie du surmoi qui consiste pour le sujet à se faire du tord. Ou bien de dire que la névrose est une folie dont l’entrée dans la psychanalyse marque, chez le sujet analysant, qu’il a décidé de rompre avec elle. Ceci est nécessaire car la folie est opposée, voire antinomique, à la décision d’entreprendre l’étude, en s’y mettant à l’épreuve au travers d’une mise en cause comme l’analyse, de la causalité mentale dont relève la chose-psy.

Il n’y a rien de plus futile et perpétuel que de masquer cette réponse à l’impossibilité du rapport sexuel par la guerre des sexes comme le prouve l’expérience commune qui rejoint ainsi le mythe des Danaïdes.

Le modèle optique emprunté par Freud, afin de rendre compte du lieu sans localisation spatial de l’inconscient composé avec sa structure pulsative d’apparition et de disparition, se trouve rigoureusement argumenté lorsque nous le remplaçons par la construction topologique qui traite de l’oubli allant du rêve au temps de l’analyse, oubli intrinsèque à l’acte même dans sa difficulté pour le sujet.

a4 - Nœuds

Mais un pareil effacement se produit aussi en plus haute dimension.

Pour les plongements d’un objet Sm, une sphère de dimension m, dans un espace Rn, il n’y a pas de m-sphères nouées si la dimension n de l’espace est plus grande que la moitié du triple de la dimension m de l’objet augmenté de un :

n > 3/2 (m + 1)

Dans ces conditions, tous les plongements de Sm dans Rn sont régulièrement isotopes [11].

Dans le cas contraire, si n £ 3/2 (m +1), la théorie des sphères nouées est à peine commencée.

Cette formule justifie que nous nous placions en basses dimensions comme le propose le titre de l’ouvrage de Moïse [28], car il s’agit principalement d’une différence de dimension.

La théorie classique des nœuds est le cas particulier de la classification des plongements de M = S1 dans N = R3; elle est loin d’être achevée.

En effet 3/2 (1 + 1) = 3, et d’après la formule précédente pour qu’il y ait du nœud, dans le cas d’un cercle où m =1, l’objet plongé est le cercle S1, la dimension de l’espace n doit donc être plus petit ou égal à trois.

La théorie précédente à ses analogues dans les catégories PL et TOP, mais il y a quelques différences.

Inversement, pour le cas M = Sn–1, N = Rn, un problème qui remonte à Jordan et Schœnflies consiste à savoir si un plongement de Sn–1 dans Rn se prolonge, comme dans le problème étudié par Antoine, en un plongement de la boule Dn dans Rn, ce qui équivaut à l’absence de nœud. C’est vrai dans la catégorie DIFF.

Dans la catégorie TOP, ce prolongement se trouve pour n = 2, mais il y a un contre-exemple pour n = 3, contre-exemple dû à Alexander, et bien connu sous le nom de la sphère cornue.

Au regard de l’effacement du nœud dont nous faisons structure, retenons le résultat qui assure l’existence d’un prolongement de plongement, soit l’absence de nœud, dans TOP lorsque n = 2.

En effet, si n = 2, alors n – 1 = 1. Ainsi il n’y a pas de nœuds fait de ronds de dimension 1 dans des surfaces de dimension 2, comme nous l’avons déjà signalé.

La théorie des nœuds étudie par isotopie les plongements des cercles de dimension 1 dans un espace de dimension 3.

L’écart entre les dimensions de l’objet et de l’espace où il est plongé, importe plus dans ces questions que les dimensions de ces objets eux-mêmes. Il est temps que le lecteur s’aperçoive qu’un espace peut toujours être pris comme objet pour un espace de plus haute dimension, comme il peut être pris en lui-même et voir son bord annulé par compactification dans une topologie appropriée, ce qui peut lui éviter l’idéalisme des plus hautes dimensions astrophysique, puisque les basses dimensions suffisent pour traiter de cet écart.

Nous appellerons co-dimension du plongement la différence entre la dimension d’un objet et la dimension de l’espace dans lequel il est plongé. La théorie des nœuds est une théorie de la co-dimension, c’est ce qui explique l’intérêt que portent les mathématiciens à l’espace qui est autour du nœud (variété du nœud) du fait de cette soustraction.

Cette soustraction de l’espace, duquel nous soustrayons le nœud où il est plongé, souligne l’importance de ce complémentaire du nœud, dit variété du nœud, qui se révèle du fait du nœud assez peu complet dans la perspective d’une classification. Cette incomplétude justifie que nous parlions plutôt d’une supplémentarité.

Nous y reconnaissons une situation précisée par Lacan à l’occasion du dire.

Lorsque Lacan traite du désir en soulignant qu’il n’est pas à confondre avec la demande, il opère une soustraction. Le fait de demander quelque chose n’est pas à confondre avec le besoin qui motive cette demande. Le désir s’obtient précisément lorsque l’on soustrait le besoin à la demande. Le désir est à situer dans cette différence, comme le nœud existe dans la soustraction de l’objet qui consiste en un rond à l’espace dans lequel il est plongé. Nous parlerons de l’espace de la demande et de la consistance du besoin. C’est le désir qui donne son caractère inconditionnel à la demande d’amour, qui ne peut en aucun cas être réduite au besoin. Celui-ci, de ce fait, d’être pris dans cette différence, devient la pulsion. Nous ferons partir de cet aperçu la notion de l’existence du nœud du désir, à condition de préciser que ce nœud n’existe pas de la consistance mais ex-siste au trou produit par le rond. C’est le trou qui existe à la consistance.

Et c’est bien la fonction du père, accentué par le discours de l’analyse, que d’apprendre à détacher la condition absolue du désir — absolue veut dire séparée — de la demande inconditionnelle d’amour. L’effacement tempère mais tisse d’angoisse ce passage dont se recueille l’objet qui est dit condition ou mieux encore cause du désir.

Notre propos vise à cerner cet objet dans le champ d’existence du nœud.

6. Résultats algébriques et graphiques dans l’espace autour du nœud

a1 - Groupes

Avant que L. Antoine ait proposé sa construction en 1921, nous avions déjà rencontré le groupe fondamental dès 1910 dans les travaux de M. Dehn. Le premier volume12 de notre série de fascicules de résultats lui est principalement consacré. Nous y avions adopté un procédé de calcul sur le dessin, très proche de la construction proposée à son époque par Dehn. Ce calcul établit l’articulation nécessaire entre notre style formel d’investigation au travers de la topologie du nœud et les techniques mathématiques que nous évoquons dans ce chapitre.

Un autre moyen de calculer ce groupe, à l’occasion de chaque nœud et de chaque chaîne, est plus répandu aujourd’hui du fait d’être plus propre à la mécanisation. Cette méthode est due à Wirttinger, et elle est bien connue sous ce nom. Mais nous lui préférons celle de Dehn, afin de travailler directement sur les figures, et du fait que notre procédé forme des mots dans les zones, que nous utilisons par la suite13.

Nous renvoyons à Essaim pour la question intéressant la topologie algébrique, d’une correspondance entre les objets topologiques, comme les nœuds et les chaînes, et les groupes algébriques. Au moment de la rédaction de cet ouvrage, il n’était pas démontré que la correspondance entre nœuds premiers et groupes fut bi-univoque. Cette situation justifiait que A. Gramain [15. a] ne donne que la première partie de son rapport au groupe Bourbaki sur la Théorie classique des nœuds en 1976.

Depuis 1989, c’est chose faite pour les nœuds propres.

Nous savions déjà que deux nœuds propres (ou deux chaînes) équivalents par isotopie avaient des groupes fondamentaux identiques, mais la réciproque n’était pas démontrée.

La démonstration du théorème qui assure l’homéomorphie du complémentaire de deux nœuds propres dont les groupes sont isomorphes est acquise grâce à W. Whitten [39] en 1987.

C. Mac A. Gordon et J. Luecke [27] ont démontré, en 1989, l’isotopie de deux nœuds propres dont les complémentaires sont isomorphes.

Ainsi, aujourd’hui, nous savons que deux nœuds propres premiers ayant des groupes fondamentaux isomorphes sont isotopes [15. b].

Un théorème équivalent n’existe pas pour les chaînes faites de plusieurs ronds, et cet état des résultats justifie que certains mathématiciens trouvent tant d’intérêt, aujourd’hui, aux polynômes correspondants aux nœuds et aux chaînes.

Nos propres résultats s’inscrivent à cette charnière, entre nœuds propres et chaînes faites de plusieurs ronds. Puisque nous montrerons par la suite comment s’établit une corrélation entre nœuds propres et certaines chaînes.

Il nous faut aussi tenir compte, à propos du groupe fondamental des nœuds et des chaînes, des deux articles de J. Milnor [29. a et b], où P. Soury [35] tentait de dessiner un lien entre ce grand mathématicien, féru de topologie, et les travaux de J. Lacan ayant trait au nœud. Il y avait souligné la corrélation des chaînes borroméennes et des séries de centralisateurs dans l’algèbre des groupes.

a2 - Surfaces de Seifert

Il existe aussi un procédé afin de déterminer graphiquement, directement sur le dessin de la présentation d’un nœud ou d’une chaîne, une surface toujours orientable. Cette surface, dite de Seifert [36], est construite par l’intermédiaire de cycles définis, les cercles de Seifert, sur la présentation orientée du nœud ou de la chaîne.

Montrons cette façon de procéder sur un exemple, facile à généraliser. Si nous partons d’une présentation du nœud ou de la chaîne orienté :

Fig. 8

Nous retirons à cette figure les croisements, afin de ne conserver que les arcs orientés.

Fig. 9

Il faut trouver alors à joindre ces arcs orientés, afin de former les cercles de Seifert, qui sont des cycles orientés disjoints, respectant l’orientation des arcs donnés.

Fig. 10

À cette occasion, nous pouvons noter les cercles d’orientations différentes par les chiffres +1 et –1. Nous appellerons nombre de Seifert, la somme de ces valeurs. Ici, par exemple, d = +3.

C’est à restituer, à cette figure, les croisements de départ que nous obtenons un montage de pastilles superposées, jointes par des bretelles tordues, la surface de Seifert dans une présentation d’empilement de nappes, vues d’avion.

Fig. 11

Cette surface, toujours orientable dans le cas de Seifert, admet le nœud ou la chaîne comme bord. Nous pouvons toujours par un changement de présentation adéquat la transformer en une surface d’empan orientable14.

Les surfaces d’empan que nous définissons dans le chapitre suivant, et dont nous traitions déjà dans le précédent ouvrage, sont une généralisation de ces surfaces de Seifert. Nous parlerons à leur propos de surfaces d’empan orientables. Elles vont avoir pour nous un rôle éminent. Dans le cas des chaînes et nœuds alternés, elles spécifieront ce que nous isolons ainsi comme non-nœuds.

7. Mouvements

Nous pouvons enfin approcher du commencement de la théorie, en donnant les mouvements élémentaires dûs à Reidemeister [8], dont la composition assure de l’équivalence entre deux présentations de nœuds ou de chaînes mis à plat.

Il y a trois mouvements de Reidemeister. Le premier fait ou défait une boucle, le second une maille non-alternée, et le troisième mouvement modifie un triskel non-alterné.

Fig. 12

À partir de ces trois mouvements générateurs, nous pouvons rendre compte d’un quelconque changement de présentation d’un diagramme donné de nœud ou de chaîne en une autre présentation du même nœud ou de la même chaîne. La description de ces changements de présentation au moyen des mouvements élémentaires assurent de l’identité par isotopie, dite aussi isotopie d’ambiance.

Dans le cas de changements de présentation qui ne recourent qu’aux mouvements M2 et T3, nous parlerons d’identité par isotopies régulières.

Ces modes d’équivalences, en termes de mouvements, étant bien définies par les mathématiques, permettent de faire l’économie de descriptions plus fines, quoique présentes de manières sous-jacentes, et prêtent par conséquent à un calcul abrégé qui peut être pratiqué par le dessin.

Les polynômes les plus récents, invariants d’ambiances ou réguliers de ces objets, sont respectés par ces mouvements, selon que nous privilégions l’isotopie d’ambiance ou l’isotopie régulière. Il en est de même pour l’orientation ou la non-orientation des ronds.

Ces distinctions donnent lieu à des polynômes différents.

8. Les polynômes de nœuds et de chaînes

Mais venons à la suite chronologique des travaux du début du siècle que nous avions cités pour rencontrer maintenant des résultats qui nous conduisent au travers d’une approche algébrique à l’état le plus récent de la théorie.

En dehors de la construction du groupe fondamental et des autres groupes d’homotopie qui comptent, depuis Poincaré, parmi les techniques principales de la topologie, nous devons à Alexander en 1923 son célèbre polynôme qui inaugure, plus certainement que Listing, la série de ce type d’invariants qui va donner les plus actuels et les plus précis invariants de nœuds.

Énumérons à partir de là, la progression qui se prolonge jusqu’à aujourd’hui.

Après Alexander, nous pouvons situer J. Levine [23] en 1965-1966. Puis principalement Conway [8] en 1970 s’appuyant sur Alexander et développant Tait et Little.

Nous devons à Conway la construction d’une relation entre les polynômes du nœud. Cette relation s’écrit entre trois polynômes, correspondant à trois chaînes ou nœuds, qui ne se diffèrent entre eux qu’à la hauteur d’un même croisement. Si nous partons de la mise à plat d’un nœud, les nœuds ou les chaînes, obtenus en inversant et en lissant un croisement, correspondent à des polynômes en relation avec le polynôme du nœud de départ.

Cette relation s’écrit :

Elle donne lieu à un procédé de calcul de polynôme, le calcul d’entrelacs de Conway (Skein calculus), dont nous traiterons dans l’appendice de cet ouvrage.

En 1985, W. Jones [17] a produit un nouveau polynôme qui différencie de manière plus précise les nœuds, en particulier les deux nœuds de trèfle. Cette avancée représente un résultat très important.

En 1987, cinq équipes différentes de mathématiciens construisent au même moment une généralisation du polynôme de Jones.

La revue qui a reçu leurs contributions, leur propose de rédiger un seul article [16], signé de leurs noms respectifs, avec un commentaire propre à chacun. Ce polynôme, désigné du nom forgé de leurs initiales, Homfly, est une version du polynôme de Jones à deux variables.

Ces différentes expressions algébriques sont invariantes à isotopies d’ambiance près pour les nœuds et les chaînes orientés. On peut leur associer d’autres polynômes invariants à isotopies régulières près.

Plus récemment, L.H. Kauffman [18. d] a construit divers polynômes pour les nœuds non orientés. Son calcul repose sur la relation :

Le polynôme de Kauffman permet de retrouver de manière très élégante le polynôme de Jones. (Voir Appendice Chapitre II). Après la découverte de Jones en 1984, il semble que l’on peut se diriger vers une vaste famille d’invariants de chaînes indexés par une algèbre de Lie g et un nombre entier (niveau) k [19].

9. Afin de situer nos travaux

L.H. Kauffman a montré [18. c], dans l’algèbre des solutions des équations dues à Yang-Baxter, un calcul qui joue pour les nœuds et les chaînes le même rôle que l’algèbre linéaire pour la géométrie euclidienne.

Il est remarquable, à ce moment de la théorie, combien le troisième mouvement de Reidemeister, T3, qui échange les triskels non-alternés, révèle une fonction principale, dont nous ferons usage par la suite. Nous en proposerons une approche différente.

Dans les deux chapitres qui viennent maintenant nous proposons une autre orientation dans les chaînes et les nœuds. Ceci afin de bien définir le nœud. Nous le voyons apparaître dans les relations qu’entretiennent les enlacements avec ce qui est nœud. Le nœud est un curieux organisme qui s’efface dans certaines conditions, celles-ci peuvent être chiffrées dans notre topologie des dimensions.

Cette orientation et la terminologie qui s’en déduit sont particulièrement pertinentes pour les objets alternables faits de un, deux et trois ronds, proposant ainsi une nouvelle approche de la dimension.

À partir d’une méthode de coloriage des présentations (diagrams) de nœuds et de chaînes, nous isolons des coupures caractéristiques à l’occasion de chaque présentation alternée.

La non-alternance est homologue à cette coupure. Non-alternabilité et coupure peuvent même disparaître dans le cas de deux ronds.

L’étude de la variation de la coupure, dans le cas des chaînes faites de plusieurs ronds, nous conduit à formuler une relation :

Cp – 2Sp = vi – 2Si

qui fait l’objet du théorème principal de cette première partie et reste valable quel que soit le nombre de ronds, que l’objet soit alternable ou non.

Cette relation est vérifiée pour une quelconque présentation, et établit un lien entre deux types d’orientations, la torsion et la caractéristique.

Une tension apparaît dans ce qui suit entre la description graphique à laquelle nous parvenons des objets alternables et la plasticité nodale de l’enlacement et du nœud. Cette tension s’établit autour d’une petite arithmétique du nœud et de l’enlacement.

Dans les trois chapitres médians, nous mènerons de front l’étude de la description graphique des objets alternables et l’étude de la plasticité nodale, en divisant chaque chapitre selon ce critère.

Nous entreprendrons l’étude de la description graphique des chaînes et des nœuds alternés qui se déduit de nos coloriages et qui fournit une nouvelle énumération de ces objets. Reste la question éminemment nodale des objets non alternables. C’est pourquoi nous accompagnons chacune de ces parties descriptives de préoccupations arithmétiques et plastiques qui nous conduirons à la problématique finale de cette étude.

Dans un premier temps, le nombre de la coupure moyenne Sp, qui se détache de ces résultats, peut être interprété au travers des mouvements de Reidemeister et des mouvements gordiens propre (homotopie) et impropre que nous définissons pour la première fois ici.

Le nombre Sp est la somme du nombre de nouage et du nombre de la coupure moyenne S0 du non-nœud contenu.

Nous proposons à cette fin une théorie des non-nœuds pour les objets faits de un à trois ronds. Cette théorie nous conduira au dernier chapitre à la définition du nombre de nœud.

Un autre type de mouvement, le mouvement nœud qui est aussi défini dans ce dernier chapitre pour la première fois, donne une autre interprétation de Sp et nous conduit au nombre de nœud.

Ce nombre est un invariant des isotopies d'ambiance. Il est défini en termes d’orientation par la torsion. Ce nombre s’ajoute au nombre d’enlacement (linking number) déjà bien connu qui dépend de l’orientation par la caractéristique dans l’étude des nœuds et des chaînes.

Mais afin de mieux comparer ces deux nombres remarquables, nous proposons un nouveau calcul du nombre d’enlacement, pour les objets faits de un à trois ronds, en termes de torsion, grâce à la notion de non-nœud contenu, étalonnant ainsi nombre d’enlacement et nombre de nœud.

Cette nouvelle façon de compter les enlacements fait apparaître une rupture structurale entre les chaînes faites de trois ronds et les chaînes faites de quatre ronds. Cette rupture intéresse la définition de la dimension et permet de lire l’enjeu des derniers séminaires de Lacan. Il s’agit d’homogénéiser l’impossible de la représentation avec la structure du langage en jeu dans l’analyse.

Cette faille structurale fera l’objet de notre ouvrage suivant; son titre peut être énoncé dès maintenant : Pas, les chaînes de quatre ronds et plus (fascicule de résultats n° 4).

Dans le dernier chapitre, en effet, nous reviendrons à l’aspect nodal qui intéresse la psychanalyse afin de situer les travaux de P. Soury en regard des constructions esquissées par Lacan dans les dernières années de son séminaire. Ceci nous permettra de situer notre propre contribution dans ce débat, avant d’y revenir dans le dernier volume de cette série d’ouvrages. Ce dernier volume, Si étroit comme treize et trois… pas large, le borroméen généralisé (fascicule de résultats n° 5), sera consacré à l’étude du nœud borroméen généralisé tel que Lacan l’a désigné en 1978 et à la théorie qui peut s’en déduire. Ce sera la théorie des nœuds à généralisé près, qui est la théorie des nœuds que nous proposons pour la psychanalyse.

Nous serons donc amené à définir plusieurs théories dont les objets sont différents, afin de filtrer le ruissellement de la multiplicité des chaînes et des nœuds.

Avant de formuler pour les nœuds propres et des chaînœuds de la théorie classique, une relation d’équivalence qui subvertit le nombre de ronds dans le but de les énumérer de manière plus pertinente, plus topologique que descriptive, et de traiter à cette occasion de la distinction entre propre (un) et impropre (plusieurs).

Ainsi, après ce premier chapitre de pure érudition, qui peut servir d’instrument de travail à ceux qui veulent s’impliquer dans ce champ, commençons à approcher le nœud selon notre manière plus topologique que mathématique.


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